SHINE, les SHS INventent leur mutation pédagogiquE
Formation et accompagnement des enseignants : articuler stratégie globale et dispositif participatif
Formation et accompagnement des enseignants : articuler stratégie globale et dispositif participatif
Au sein de l’Université de Lorraine, le collegium SHS, qui regroupe deux UFRs de sciences humaines et sociales accueillant 7000 étudiants, l’une à Metz et l’autre à Nancy, traverse actuellement une période de mutation. A la crise identitaire, aux menaces pesant sur les SHS au plan international, aux difficultés d’inscription de ces filières dans les logiques professionnelles promues par les réformes, s’ajoute la complexité d’une transition qui ébranle plus largement toute l’Université française.
Cette période de mutation est le résultat de phénomènes bien identifiés aujourd’hui, comme la massification, la diversité des publics et la pénétration du numérique à tous les niveaux des pratiques universitaires (Bertrand, 2014). Ce contexte numérique a transformé pour toujours le paysage des réseaux sociaux et techniques, des médias et de la culture, internet et le web généralisant des convergences via la dématérialisation et les techniques de partage aussi bien techniques (pair-à-pair…) que structurels (collaboration…). Par ce qu’il a induit de nouveaux comportements et de nouveaux usages, ce contexte re-questionne bon nombre de pratiques pédagogiques universitaires.
Rappel du contexte
Les enseignants-chercheurs en poste sont peu nombreux à avoir été formés à la pédagogie et exercent souvent leur métier d’enseignant en utilisant les seules références de leur propre temps de formation à l’université. Si nous nous accordons tous sur le fait que les publics de l’université ont beaucoup changé, il n’est pas évident que nous le soyons à propos de notre obligation à nous y adapter. Ceux d’entre nous qui n’y sont pas favorables mettent en avant le risque que nous courons, ce faisant, de renoncer à nos exigences de formation. D’autres, plus favorables, sont au contraire très en demande de références pour accompagner leurs réflexions.
Penser ainsi la mutation pédagogique au regard de la diversité des publics – diversité due à la multiplicité des moyens d’accès à l’université (publics empêchés – étudiants salariés, en mobilité, handicapés, …), aux différences cognitives des individus (collaborer oui mais à condition que cette modalité convienne à tous), aux origines et aux parcours de chacun – diversité née de la massification pouvant mener à la dividuation au sens de Deleuze (Deleuze, 1990), que nos mutations pédagogiques doivent transformer en individuation dans l’optique d’une insertion professionnelle des étudiants.
Tout ceci nous mène à penser de nouvelles postures pour enseigner de manière à prendre en compte les évolutions des publics, des modalités d’enseignement, les lieux et les temps d’apprentissage… Dans un contexte où le rapport au savoir a muté, où les publics présentent des comportements et modes d’interaction nouveaux (présence croissante des médias sociaux), comment accompagner les enseignants dans une mutation de leurs pratiques pédagogiques ? Ou comment faire prendre conscience aux enseignants qu’enseigner différemment n’est pas enseigner moins ou enseigner moins bien ? En d’autres termes, est-il possible d’aller vers d’autres modalités d’enseignement, d’accepter de perdre sa place de centre connu, nommé, détenteur du savoir, pour aller vers un non-centre qui vise à infléchir les trajectoires des étudiants, à leur indiquer un mouvement, une courbure, qui les mènera à intégrer dans leur expérience personnelle cette marque, cette trace, afin qu’ils inventent leur propre lecture/écriture des savoirs ? Et en quoi cette inflexion est-elle particulièrement fondamentale en SHS ?
Prendre conscience de tout ceci rend nécessaires la mutation des pratiques pédagogiques, la remise en question des postures de l’ensemble des acteurs (tant enseignants qu’étudiants) et l’invention de nouveaux modes de collaboration et d’échanges au sein des espaces quels qu’ils soient. Prendre conscience de tout ceci impose par conséquent d’accompagner les enseignants et enseignants chercheurs et de penser collaborativement à des dispositifs nouveaux, reposant sur d’autres relations, et surtout reposant sur la mise en place de lieux d’échanges informels dans la logique de tiers lieux – tiers lieux dans les méthodes mises en œuvre basées sur l’échange et l’apport de tous pour tous ; tiers lieux dans l’à-côté qu’ils constituent, permettant la libération de la parole, pour une réflexion co-construite et ascendante.
C’est pourquoi, depuis plusieurs mois, le collegium SHS de l’université de Lorraine a mis en place (i) une stratégie visant à permettre l’appropriation des problématiques par les enseignants et (ii) des modalités d’accompagnement et de formation originales, basées sur la création de communs, à la fois lieux et temps ouverts et libres, dédiés à la formation par l’échange.
Une stratégie située, globale et participative
La démarche du collégium s’appuie sur une stratégie alliant espaces, technologies et pédagogie. La transformation des espaces (formels et informels) s’accompagne du déploiement de technologies et d’une réflexion sur les pratiques pédagogiques. C’est la combinaison de ces trois piliers d’action qui supporte la stratégie du collégium SHS
Elle est portée par les correspondants « pédagogie et numérique » des deux UFR SHS, correspondants appartenant au réseau mis en place et animé par l’université de Lorraine. La coordination des deux UFR est assurée au niveau du collégium (depuis fin 2012).
Cette stratégie ne s’exprimait pas en ces termes à la naissance du collégium en 2012 mais a été progressivement infléchie par les résultats de l’initiative que ce document présente.
La stratégie du collégium se présente comme un complément pertinent à la politique et aux actions portées au niveau de l’établissement dans son ensemble, dans une logique d’ancrage au plus près des réalités de l’enseignement supérieur et de ses acteurs. Pour cela, l’ensemble du dispositif prévu au niveau du collégium associe de très près tous les services de l’établissement qui sont concernés, selon les sujets (SU2iP, SDUN et DVUC). Le SU2iP accompagne le collégium dans sa démarche depuis le début et lui apporte son soutien et son expertise. En retour, les actions déployées au sein du collégium permettent à l’établissement d’enrichir son dispositif englobant et d’adapter ses actions aux besoins exprimés par les acteurs.
L’initiative déployée au sein du collégium ne propose pas des actions redondantes avec celles déjà offertes par l’établissement mais s’inscrit résolument dans une démarche participative. Elle vise à favoriser des lieux propices à des échanges libres en vue de faire définir, à partir d’une problématique globale, les problématiques et les priorités par les acteurs eux-mêmes. Le postulat repose sur le fait que leur propre compréhension de ces problématiques leur permettra de construire les solutions les plus adaptées à leur réalité quotidienne). Comme nous le verrons par la suite, cette approche implique que notre action évolue dans ses formes et ses productions, au fur et à mesure que les acteurs s’en emparent.
Sensibiliser les acteurs a la mutation : de l’appropriation du numérique à l’accompagnement de la mutation pédagogique
Au départ, rien ne laissait présager de l’ampleur qu’allait prendre l’initiative déployée en SHS. Une fois l’UFR SHS-Nancy structurée (elle est née de la fusion de plusieurs UFR différentes en 2014), en nous appuyant sur les expériences d’animation proposées à l’UFR SHS-Metz, nous avons, dans un premier temps, mis en place des actions pour faciliter l’approche et l’appropriation des outils des TICE pour nos collègues.
De l’appropriation du numérique …
Ce premier élan est parti d’un constat : celui de l’existence d’un profond décalage entre les propositions de formation et d’accompagnement offertes par l’institution et les attentes et problématiques de certains de nos collègues. Nous étions à l’interface entre des services qui proposaient des outils numériques innovants via un ENT toujours plus enrichi et des individus qui, bien qu’en forte demande d’accompagnement pour appréhender une mutation numérique qu’ils pressentaient, n’avaient souvent ni le temps pour s’y repérer, ni les méthodes pour se les approprier.
Nous avons donc proposé en septembre 2014, en amont de la rentrée, un Petit-Déjeuner du Numérique, organisé par des enseignants pour des enseignants, pour faire un panorama des outils et des thématiques qui nous semblaient les plus utiles, mais surtout pour proposer des ateliers personnalisés. Dans chacun des deux lieux, Metz et Nancy, nous avions invité des collègues qui, en fonction des questions et des besoins de chacun, ont travaillé à partir des questions posées par les participants. Organisée sur une demi-journée, hors période d’enseignement, la rencontre a été un grand succès. Pour beaucoup de collègues, ce fut l’occasion d’imaginer des propositions pédagogiques derrière des solutions techniques. Un barcamp en visio entre les deux sites en fin de rencontre a conclu à l’évidence que ce type d’initiative devait être prolongé.
… À l’accompagnement de la mutation pédagogique
2014-2015 >>> La mise en place des Ateliers de Pédagogie Curieuse, saison 1 : faciliter la découverte et l’appropriation des outils et méthodes
Les ateliers de pédagogie curieuse ont été organisé tous les premiers mardis du mois, de 17h30 à 19h, avec une visioconférence entre les deux sites, pour continuer nos échanges sur le même mode : une thématique, pas de présentation magistrale mais des échanges spontanés et ouverts pour construire collectivement une réflexion sur nos pédagogies enrichie par les apports théoriques du SU2IP. Le lecteur pourra retrouver en annexe le détail des thèmes traités (exemples : la classe inversée, réseaux sociaux et pédagogie,…)
Pour beaucoup de nos collègues, ce court temps, 1h30, une fois par mois fut vécu comme un temps très fort de respiration et d’ouverture. Un temps de respiration dans des agendas trop chargés où impératifs de l’enseignement et de la recherche se heurtaient dans une même d’urgence et un temps d’ouverture où beaucoup redécouvraient le cœur même de leur activité
Par-delà l’intérêt individuel, se dessinait également dans ces ateliers, la possibilité de construire du commun en dépassant les frontières disciplinaires. Nous avons en quelque sorte redécouvert avec un intérêt certain ce qui nous rassemblait, en tant qu’acteurs des Sciences Humaines et Sociales, dans notre manière de transmettre de la connaissance et d’aborder les méthodes et les outils avec un sens critique propre. Nos problématiques étaient les mêmes – évolution du public, massification, crise identitaire, nouveaux rapports au savoir… – et nos envies et besoins se rejoignaient. Par-là, les réflexions sur la pédagogie nous permettaient d’appréhender naturellement notre spécificité en tant que Collegium et il nous semblait voir les prémisses d’une dynamique à construire : une dynamique où nous, enseignants des Sciences Humaines et Sociales, pourrions penser nos pédagogies et nos usages des dispositifs qu’ils soient techniques ou sociaux. Ces propositions ont séduit nos collègues : en ouvrant à tous la possibilité d’imaginer, de créer et d’incarner, il nous a souvent semblé redonner du sens et des envies à une mission d’enseignement parfois voilée par des contraintes administratives et des limites institutionnelles.
Septembre 2015 >>> organisation des assises de la pédagogie SHS pour construire ensemble l’université de demain
C’est donc dans la logique de cette dynamique portée par et dans le Collegium, avec le soutien de l’établissement et de ses services (SU2iP, DVUC et SDUN), que nous avons organisé les premières Assises de la Pédagogie en SHS : http://collegium-shs.univ-lorraine.fr/assises-de-la-pedagogie/. Ces assises se sont déroulées pendant deux journées organisées l’une sur Metz et l’autre sur Nancy, avec l’ambition de proposer à tous les acteurs du Collegium (étudiants, enseignants et personnels administratifs) d’échanger librement autour du projet de mutation pédagogique. L’objectif était de faire émerger des individus et de leurs interactions les bases d’un projet collectif. Elles ont rassemblé plus de 80 personnes sur les deux jours (dont une vingtaine d’étudiants). Le bilan complet de ces assises vous est proposé en annexe.
2015-2016 >>> Ateliers de pédagogie curieuse, saison 2 en prolongement des assises de la pédagogie, pour une vision augmentée des questions pédagogiques
Les thèmes retenus découlent directement des Assises de la pédagogie en SHS : Bien-être à l’université (novembre 2015) ; Tiers lieux à l’université pour une pédagogie repensée (décembre 2015) ; Les identités à l’université (janvier 2016). Chaque atelier, ouvert à toute la communauté à la suite de l’expérience des assises, est alors un temps d’appropriation et d’actions autour des axes forts ayant émergé des assises. Nous en avons pour preuve les actions initiées autour pour l’identification des besoins en matière d’espaces de vie de tous les usagers. . C’est à partir des réflexions en cours que l’orientation et les modalités des assises 2016 seront co-construites.
Les actions décrites ci-dessus ont été, dans une volonté de s’inscrire dans la dynamique de mutation pédagogique de l’université pilotée par le SU2IP, enrichies par des ateliers de pratiques pédagogiques. Ces ateliers construits par le SU2IP, animés par des intervenants de l’université ou extérieurs à l’université, ont permis de renforcer la dimension « Pédagogie universitaire » du dispositif. De même, en étant acteur de toutes les actions (ateliers, assises, …) constitutives de ce dispositif, le SU2IP a permis les apports théoriques, la réflexivité sur les retours d’expériences, ainsi qu’un apport d’experts qui ont contribué à la durabilité des actions.
Enfin, afin de répondre à des demandes ponctuelles, et d’installer une présence de cette stratégie dans le
quotidien des usagers de l’université, le collegium a inventé le ARCHE’ATHON – 1 heure pour répondre aux questions des enseignants sur les usages pédagogiques de la plateforme ARCHE. Le schéma ci-dessous synthétise les actions menées :
Des échanges à l’action : projets et réalisations
Les événements que nous venons de présenter sont autant de moyens de placer très régulièrement à l’agenda la question de la pédagogie, ce qui constitue déjà une avancée non négligeable. Cela étant, engager une communauté dans cette démarche implique de pouvoir lui apporter des résultats tangibles de cette dynamique dans son quotidien.
C’est en ce sens que les UFR et le Collegium s’engagent aujourd’hui sur le portage de projets d’investissement visant à transformer les pratiques pédagogiques par l’action sur les espaces (rénovation de salles) et les technologies (voir pour exemple le projet Plateau). Des composantes de tous les domaines disciplinaires de l’université de Lorraine viennent visiter nos équipements (exemples : Sciences et technologies, Droit-Eco-Gestion) et nos partenaires également (visite récente du CNFPT). A partir d’un questionnement sur la mutation des espaces pédagogiques, nous en arrivons très naturellement à échanger sur les pratiques pédagogiques et la manière dont nous envisageons leurs évolutions.
Fort de ces travaux, de l’implication de tous les personnels, de l’impact que ces actions ont eu sur le collegium mais également au niveau de l’université (l’UFR SciFa a mis en place depuis octobre 2015 un dispositif fortement inspiré des ateliers de pédagogie curieuse), le Collegium SHS a élargi son dispositif de façon à intégrer d’autres acteurs, comme le Collegium ALL, la direction de la documentation et de l’édition, en vue de penser une mutation pédagogique dans toutes ses dimensions (pédagogie – espaces – technologie).
Par ailleurs, cette démarche trouve un écho particulier dans le processus d’autoévaluation des formations lancé par l’Université de Lorraine, dans le cadre de la préparation de l’évaluation de l’établissement par l’HCERES au sein de la vague C. Si les conditions d’enseignement constituent souvent un frein à l’innovation pédagogique en SHS, cette thématique est aujourd’hui omniprésente et produit des solutions toujours très spécifiques mais qui s’insèrent également toujours bien dans une cohérence d’ensemble dont le Collegium et l’établissement sont garants.
Bilan
Les effets que nous constatons aujourd’hui, aux détours des conversations, dans les demandes pédagogiques effectuées auprès des différentes instances, dans les relations entre les individus dépassent largement ce que nous imaginions mettre en place au départ.
Ces effets nous ont confortés dans l’idée que les dispositifs ne peuvent pleinement fonctionner que s’ils sont co-construits par les individus et non pensés dans des cadres dogmatiques en dehors des lieux d’expérience. Ils nous ont appris l’importance de la réappropriation de la place de chacun. Ils nous ont également appris l’enrichissement mutuel qui peut profiter à tous quand le débat est élargi : la présence des étudiants et des personnels administratifs aux Assises de la Pédagogie a été un élément clé de nos réflexions car elle nous a rappelé que la pédagogie s’inscrit dans un tout, incluant harmonieusement les hommes et les femmes et espaces d’enseignement certes mais aussi espaces de vie, dématérialisés on non, et surtout espaces de rencontres et de dialogues.
Le travail mené nous a surtout permis de réaffirmer l’importance du renforcement des synergies à tous les niveaux de l’établissement. Le succès de cette initiative est en effet indissociable du soutien et de l’écoute des composantes. En faisant le choix de nous soutenir, UFR, Collegium et établissement ont posé les conditions de réussite du projet de mutation.
Proposer à tous d’être acteurs de la mutation, à tous les niveaux, de l’étudiant au responsable de formation a finalement défini les conditions d’adhésion à ce programme de mutation. Redonner du sens aux fonctions, aux missions et aux objectifs a créé une mise en tension qui nous laisse à penser que nous avons créé les conditions d’une mutation durable et incarnée.
Références
Moles, A. et Rohmer, E. (1978) Psychologie de l’espace. Casterman.
Barthes, R. (1970) L ‘Empire des signes. Points.
Bertrand, C. (2014) Soutenir la transformation pédagogique dans l’enseignement supérieur. Rapport à la demande de Madame Simone BONNAFOUS, directrice générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle. 17 mars 2014
Bey, H. (1997) Taz, Zone Autonome Temporaire, Editions de l’Eclat, Paris.
Dardot, P. et Laval, C. Commun. Essai sur la révolution au XXIème siècle. La découverte. 2015
Deleuze, G. (1990) « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in L’autre journal, n°1, mai 1990
Hein, F. (2012) Do it yourself ! Autodétermination et culture punk. Le passager clandestin.
Abréviations
ARCHE : LMS de l’université de Lorraine
SDUN : Sous-Direction aux Usages du Numérique de l’Université de Lorraine (https://numerique.univ-lorraine.fr/la-direction-du-numerique/missions/missions-de-la-sous-direction-services-aux-usagers)
DVUC : Direction de la Vie Universitaire et de la Culture de l’Université de Lorraine (http://www.univ-lorraine.fr/content/vie-des-campus)
SU2IP : Service Universitaire d’Ingénierie et d’Innovation Pédagogique (SU2IP) de l’Université de Lorraine (ttp://sup.univ-lorraine.fr/)
http://collegium-shs.univ-lorraine.fr/collegiumshs/presentation-du-collegium/)